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Vincent Giudicelli. Le blog.


Héroïne(s): Rheya

Publié par franchies-les-frontieres sur 9 Novembre 2015, 21:13pm

Catégories : #Héroïnes

Héroïne(s): Rheya

 

 

(Série de lettres aux femmes trop aimées pour être vraies.)

 

 

Natascha McElhone/ Rheya dans Solaris (Soderbergh, 2002)

 

 

Banlieue sud, un mercredi après-midi

 

 

Même George Clooney n'avait jamais aussi bien joué qu'en ta présence. D'ailleurs, il ne joue pas : il nous file la chair de poule. Une véritable centrale de frissons poussée à plein régime. Sur son lit de station spatiale, Chris Kelvin ouvre les yeux et tu es là. Ce n'est pas le réveil difficile après une courte nuit qu'il est en train de jouer : là où il se trouve, il n'y a ni jour ni nuit. Ce qu'il exprime va bien plus loin que la dramaturgie d'un millier de vies quotidiennes ou un Hamlet d'Actor's Studio – et de toutes façons, dans l'espace, personne ne vous entendra faire l'acteur. Non : ce dont Clooney se réveille, c'est de toi. Revenue d'entre les morts. Tu es là, sous le duvet, avec lui. Sa femme suicidée. Morte. Partie.

 

Derrière les vastes hublots, la planète Solaris se voile d'arabesques nuageuses. Camaïeu vert-bleu d'énigmatiques éruptions chromosphériques. Dehors comme dedans, tout va très vite et très lentement à la fois. Chris Kelvin se lève d'un bond sans oser te regarder, revoir celle qu'il a cru voir. Les yeux au sol, il marche jusqu'au mur pour s'y appuyer. Puis il relève la tête. Et il te regarde. Et il ne se passe pas un millionième de seconde pour que l'on ne croit pas à ce qu'il ne croit pas. De lourdes volutes de peur s'élancent de son regard. Comme une goutte d'encre dans un verre de larmes, l'effroi se mélange à l'espoir que tu sois bien réelle. Les yeux exorbités, il se fout des claques, au cas où tout cela ne serait qu'un rêve. Mais non...Tu es là.

 

Où étais-je, Rheya, quand de grâce et d'innocence tu revenais à la vie ? J'étais assis dans un multiplexe du quartier de Bercy, à Paris. Ma station spatiale de l'époque, quand j'allais au cinéma à la fois en pleine semaine et en pleine après-midi. Le petit cumul des grandes tranquillités.

 

Nous étions peu dans la salle, mais un type s’empiffrant bruyamment de pop-corns avait réussi à nous donner envie de lui cimenter la bouche. Au bout d'un moment, excédé de ne pas pouvoir comme moi se glisser dans les nappes synthétiques de la musique de Cliff Martinez, un spectateur lui avait fermement intimer d'arrêter de nous emmerder avec son maïs ogm merde à la fin quoi tu peux pas bouffer chez toi. C'était bien envoyé. On ne l'avait plus entendu. Quelques secondes plus tard, nous n'y pensions même plus.

 

C'était un jeudi de décembre 2002. Une belle journée froide et ensoleillée. J'étais rentré chez moi à pied. Puis de mes vingt-cinq mètres carrés de solitude et cinq de baie vitrée, j'avais regardé le presque-soir d'hiver tomber d'un carmin lourd sur les toits de Paris. Je me sentais loin de tout. En mode apesanteur. Les lumières des avenues étoilaient la ville. Au loin, les navettes spatiales décollaient silencieusement d'Orly city. Je m'étais endormi là, dans mon lit trop spacieux, avec l'envie de me réveiller en pleine nuit pour ouvrir les yeux sur toi, Rheya. Nos visages sous le dôme violet du ciel de Paris. Et les lumières des monuments auraient fait des arabesques. Et moi, je me serais foutu des claques.

 

C'était ma première rencontre avec Natascha McElhone. Celle qui sera plus tard "la dame de la vallée" de Hank Moody venait déjà de l'espace. Sa longue silhouette de douce amazone se nimbait d'une aura boréale. Son grand visage à la beauté singulière semblait receler en lui toutes les femmes que l'on a aimé et qui continuent à vivre sous le verre de nos plus beaux souvenirs, dans un grand cadre de ciel constellé. Il donnait envie de sacrifier la réalité sur l'autel de l'amour absolu, celui qui n'existe jamais autrement qu'en rêves, comme si Turner repeignait chaque nuit le poème de Verlaine. Plus tard, ce sera la dream-pop de Wild Nothing qui redonnera vie à Rheya, pour le dernier titre de leur album Nocturne ; rien d'officiel mais on devine aux paroles qu'il s'agit de cette même femme dont la peau ambrée, les reflets roux de ses cheveux et le prénom mythologique hantent la mélodie comme ils s'immiscent dans nos rêves à tous.

Car oui, de Los Angeles à l'autre bout de la galaxie, nos rêves se ressemblent. Nos rêves se gorgent de l'espoir de voir apparaître un jour celle que nous aimerons sans début ni fin. Notre dame de la vallée. Notre Rheya. Ainsi nos nuits prendront les teintes d'une planète inconnue. Et derrière nos hublots de plus en plus vastes, nous regarderons l'univers reprendre grâce et innocence.

 

 

 

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